Bernard Buffet, peintre moderne du XXe siècle, connu pour ses peintures à l’huile, ses dessins, ses lithographies et quelques sculptures a été autant aimé que controversé tout au long de sa vie. Et pourtant dès 1958, un homme est fasciné par ses œuvres : le galeriste Maurice Garnier. Une rencontre décisive pour les deux hommes qui aboutira à une collaboration de plus de cinquante ans, jusqu’au suicide du peintre expressionniste en 1999.
Bernard Buffet et Maurice Garnier : la rencontre de deux introvertis
A la fin de la guerre, en 1945, le jeune Maurice Garnier fait la rencontre du galeriste Emmanuel David. C’est en voyant son travail que Maurice Garnier décide de devenir galeriste lui aussi. Le 1er juin 1946, il ouvre la Galerie Visconti, au 35 de la rue de Seine. Il suit l’exemple d’Emmanuel David avec qui il est contact régulier (c’est d’ailleurs ce dernier qui lui a trouvé le local pour sa galerie), et suit des jeunes artistes. Lors d’une interview donnée en 2002 par Christophe Berteaux pour la revue "11, rue Royale", Maurice Garnier expliquait : « ce que l'on gagnait avec les plus âgés, on le dépensait pour les plus jeunes ! ». En 1958, Maurice Garnier fait LA rencontre de sa vie de galeriste. Lors du Prix de la Jeune Peinture à la Galerie Drouant-David, il voit pour la première fois une œuvre de Bernard Buffet « le Buveur ». Après des échanges houleux entre les membres du jury, c’est finalement un autre artiste qui remporte le prix, mais cet engouement a piqué la curiosité d’Emmanuel David et de Maurice Garnier. D’ailleurs, le premier se rend chez le peintre expressionniste et lui propose d’être son marchand exclusif. Un contrat qui sera partagé avec Maurice Garnier car Armand Drouant n'appréciait guère la peinture de Bernard Buffet. Pour Maurice Garnier c’est une évidence : « ce qui m'a frappé, c'est son œuvre. Celle-ci était tellement différente de tous les autres artistes. Tellement plus forte, plus caractéristique » raconte Maurice Garnier lors d’une interview donnée en 2002 par Christophe Berteaux. Jean Bouret, ardent défenseur de l'artiste, écrira « Maurice Garnier est entré dans la peinture de Bernard Buffet comme on entre en religion ». Touché par son œuvre, Maurice Garnier l’est aussi pour le personnage de Bernard Buffet. Les deux hommes se ressemblent beaucoup : « le personnage était très renfermé, comme je l'étais moi-même à l'époque. Nous étions deux introvertis et nos rencontres étaient le plus souvent muettes. » D’ailleurs, les deux hommes se vouvoieront jusqu’à la mort de Bernard Buffet.
Bernard Buffet et Maurice Garnier : deux travailleurs acharnés
Dès leur rencontre, Maurice Garnier et Bernard Buffet travaillent ensemble. Maurice Garnier présente le travail de l’artiste dans sa galerie. A partir de 1949, Bernard Buffet avait pris l'habitude d'exposer tous les ans à la Galerie Drouant-David, il décide dès 1951 de faire un thème par exposition pour éviter de se répéter. En 1954, Maurice Garnier ouvre la galerie Bernard Buffet au 12 Avenue de Matignon à Paris. Dans les années 50/60, l’artiste est à son apogée mais commence à être critiqué dans le monde de l’art. Son succès fait grincer des dents et bientôt on ne parle que de sa réussite financière et commerciale. Heureusement, Maurice Garnier garde le cap et c’est à l’international que Bernard Buffet s’exporte le mieux, et notamment au Japon : « les amateurs japonais furent immédiatement séduits, retrouvant dans ses cernes noirs, les estampes japonaises » explique Maurice Garnier. En 1977 le galeriste décide de se consacrer exclusivement à Bernard Buffet. Son talent lui demande énormément de travail. L’artiste étant un boulimique de travail, le galeriste doit redoubler d’effort pour gérer ses œuvres ainsi que sa vie privée : « la phrase de Jean Bouret s'est révélée tout à fait exacte. J'ai consacré ma vie à Bernard Buffet. Ma vie, ma famille, mes enfants, c'était Bernard Buffet » confiait Maurice Garnier lors de l’interview de 2002 donnée par Christophe Berteaux. Le galeriste continue ainsi de travailler pour Bernard Buffet. Quand ce dernier lui annonce être atteint de la maladie de Parkinson, il sait déjà qu’il se donnera la mort s’il n’arrive plus à peindre. Il avait raison, en 1999, Bernard Buffet met fin à ses jours dans son atelier du Domaine de la Baume près de Tourtour dans le Var.
Un hommage au peintre jusqu’à sa mort
On pourrait penser que le travail de Maurice Garnier s’arrête avec le suicide de Bernard Buffet, il n’en est rien ! Après son décès, Maurice Garnier continue les expositions annuelles les premiers jeudis de février. En parallèle, il créé un fond de dotation pour l’ouverture d’un musée en France. Il y dépose environ 300 peintures et toutes les archives de la galerie Bernard Buffet. Le projet d’un musée à Colmar se dessine lorsque l’investisseur change d’avis après les événements du 11 septembre 2001. Maurice Garnier continue de gérer les œuvres de Bernard Buffet et créé des expositions par ordre chronologique afin de rendre ses lettres de noblesses à l’artiste qu’il a toujours adoré et soutenu. D’ailleurs, Annabel Buffet l’épouse du peintre accordera toute sa confiance au galeriste pour continuer son travail. Elle écrira à son propos : « l'amitié est un sentiment essentiel et rare sans lequel ma vie serait un désert affectif insupportable. Celle qui lie Maurice Garnier à Bernard Buffet depuis un demi-siècle est exemplaire. […] Merci Maurice. Merci pour tout. Si Bernard était là, il serait heureux. » Jusqu’à la fin de sa vie Maurice Garnier se sera entièrement consacré à l’artiste expressionniste : « aujourd'hui encore, je continue à m'occuper d'Annabel et de leurs enfants, de la même façon. J'ai mis ma vie au service de Bernard Buffet et j'ai été récompensé de mon acharnement. J'ai toujours trouvé cela normal et logique. Ma vie, c'est la galerie, c'est la peinture de Bernard. » Le galeriste meurt en 2004 à l’âge de 94 ans et c’est sa femme, Ida (il s’est marié à 64 ans !) qui poursuit le travail de son mari. Heureux, le galeriste n’a eu qu’un seul regret : « j'ai toujours regretté que Bernard Buffet n'ait jamais voulu me parler de sa peinture. Pour lui, il peignait, et puis c'était tout ! ».